Contempler le ciel nocturne a toujours inspiré l’Humanité, donnant naissance à des inventions, des œuvres d’art, et des théories parfois surprenantes. Mais aujourd’hui, que ce soit en ville ou à la campagne, en France ou en Australie, à la montagne comme à la plage, le ciel se voile d’un halo lumineux bien avant la tombée de la nuit. La pollution lumineuse, omniprésente, nous prive non seulement d'une connexion ancestrale avec le ciel, mais menace aussi notre environnement et notre santé.
La pollution lumineuse désigne l'utilisation inappropriée de lumière artificielle pendant la nuit. Elle se manifeste particulièrement par un éclairage inadapté de nos villes, nos campagnes et bien plus encore. Mise en lumière aux Etats-Unis par des astronomes démunis face à la disparition progressive des étoiles, la volatilisation de la nuit noire inquiète dès la moitié du XIX siècle.
Aujourd’hui plus que jamais, cette lumière artificielle constitue une menace pour l’environnement.Elle perturbe notamment la régulation de l'horloge biologique, aussi bien chez l’Homme que chez de nombreuses autres espèces. En effet, l'expression des gènes responsables de cette horloge interne est directement liée à l’exposition à la lumière. La plupart des mammifères, y compris les humains, suivent des rythmes circadiens, c’est-à-dire des cycles de 24 heures basés sur l’alternance entre le jour et la nuit. C’est aussi le cas de Mimosa pudica, une plante dont les pétales s’ouvrent au lever du jour et se referment à la tombée de la nuit. Même lorsqu'elle est placée dans l’obscurité la plus totale, cette plante conserve son rythme, preuve de l'importance des cycles naturels. Parfois ce rythme est perturbé temporairement, comme lors d'un décalage horaire (jet lag). Si cette désynchronisation persiste, elle peut altérer gravement la qualité du sommeil, ainsi que la santé mentale et physique dans son ensemble.
En brouillant la distinction entre le jour et la nuit, la pollution lumineuse pose un réel danger pour notre bien-être et celui des écosystèmes terrestres, aériens et aquatiques. Toutes les dimensions sont affectées par ce phénomène, des hauteurs, aux terres, jusqu'aux profondeurs de l'océan.
Dans l’air
Prenons un peu de hauteur, à la lisière des nuages. La pollution lumineuse y a des effets préoccupants sur la faune aviaire, notamment sur les oiseaux migrateurs nocturnes, qui représentent les deux tiers des espèces en Europe. L'éclairage artificiel, souvent dirigé vers le ciel pour valoriser des monuments par exemple, provoque un éblouissement et augmente ainsi, tel un effet papillon, le risque de collision en perturbant leur navigation. En plus d'affecter leur activité nocturne, cette lumière artificielle modifie également leur comportement.
Légende :
En bleu ciel : territoires affectés par de la lumière artificielle
En bleu foncé : territoires non-affectés par la lumière artificielle
En avril 2009, tous les matins pendant 19 jours, Bart Kempenaers a étudié le chant de plusieurs espèces d’oiseaux. Il a notamment observé que les Rouges-Gorges familiers (Erithacus rubecula), qui chantent normalement à l'aube, commencent leurs mélodies 140 minutes plus tôt, soit l’équivalent de deux heures, dû à la proximité avec des espaces éclairés. Pourtant, ces chants jouent un rôle crucial dans le processus de reproduction, notamment en attirant les partenaires et en établissant les territoires. La perturbation de leur rythme de chant peut donc affecter leur succès reproductif et, par conséquent, la dynamique de leur population.
Ainsi, la lumière perturbe non seulement les cycles naturels des oiseaux nocturnes, mais influence également ceux des oiseaux diurnes, menaçant leur propre équilibre.
Il est bientôt minuit et il suffit de vagabonder dans les rues d’un village quelconque en France pour l’observer : après les pesticides, la pollution lumineuse est la deuxième cause de mort des insectes[2]. Ils sont la proie des lampadaires dont ils subissent une "attraction fatale" : attirés par les sources lumineuses artificielles, un tiers d'entre eux meurent avant le lever du jour, soit d'épuisement, soit en devenant des proies faciles. En Allemagne, ce phénomène entraîne environ 100 milliards de décès d'insectes chaque été, ce qui a des répercussions majeures sur la chaîne alimentaire.
Sur Terre
A échelle de 2 % par an, la pollution lumineuse et ses installations artificielles se multiplient et s'intensifient. Cette prolifération de lumière perturbe les cycles naturels de l’environnement, comme celui des oiseaux, mais également des écosystèmes terrestres.
La pollution lumineuse affecte les espèces à la surface de la terre, en perturbant le rythme biologique de nombreuses plantes vivant à proximité des zones éclairées par exemple. Sous l'effet de la lumière artificielle et de la chaleur inhabituelle, les bourgeons se développent avant la venue du printemps, ce qui les expose aux dangers des gelées tardives.
Dans certaines fermes françaises ce n’est pas un mais bien deux printemps qui sont instaurés chaque année, remettant également en question la simplicité des rythmes saisonniers. Pendant plus de 70 jours, entre novembre et janvier, une poignée de pâturages caprins sont volontairement exposés à la lumière artificielle pour forcer une reproduction en dehors des périodes naturelles. En réponse aux exigences du marché, les chèvres subissent un désaisonnement pour pouvoir produire du lait en hiver. Cette technique soulève des questions quant à son impact sur le bien-être animal, sur l'équilibre naturel des cycles biologiques et contraint également les éleveurs à prendre des risques économiques.
En direction des côtes, du bord de mer, un lieu paisible où l’activité humaine, à l’origine de cette pollution lumineuse, impacte directement la biodiversité marine. Dans des conditions naturelles, la majorité des jeunes tortues émergent la nuit et s’orientent vers l’océan en se dirigeant vers l’horizon lumineux de la mer, tout en s’éloignant des silhouettes sombres de la terre. Cependant, l’éclairage artificiel perturbe ces repères visuels cruciaux, désorientant les jeunes tortues qui attirées vers la lumière, reviennent vers les côtes où elles deviennent des proies faciles pour les prédateurs. La situation est particulièrement préoccupante pour la tortue Luth (Dermochelys coriacea), une espèce en danger critique d'extinction, qui subit de plein fouet les conséquences des activités humaines de la capitale Pointe Denis au Gabon.
Dans l’eau
Le voyage se poursuit maintenant à bord d’un sous-marin, vers la périphérie des abysses. Contrairement aux idées reçues, la pollution lumineuse ne se limite pas à la terre ferme. De nombreuses espèces marines réagissent aux variations de luminosité et dépendent de faibles quantités de lumière pour leurs activités quotidiennes.
Certaines espèces effectuent des migrations verticales depuis la zone crépusculaire jusqu'à la surface de l'eau, guidées par les niveaux de luminosité à différentes profondeurs. Le zooplancton, comprenant des organismes tels que les copépodes, les pyrosomes et les calmars, remonte vers les couches supérieures de l'océan pour se nourrir lorsque la lumière du soleil diminue et que la lueur de la lune apparaît. L'éclairage artificiel perturbe ces migrations essentielles, déséquilibrant également les écosystèmes marins. L'adoption croissante des éclairages LED, bien qu'énergétiquement rentables, pose de nouveaux défis. Ces lumières émettent des longueurs d'onde courtes qui pénètrent plus profondément dans l'eau, amplifiant l'impact de la pollution lumineuse sur les milieux aquatiques.
Depuis les années 1980, la quantité de lumière artificielle émise a presque doublé, bouleversant les écosystèmes terrestres et marins. Cette lumière perturbe profondément la faune, attirant certaines espèces, comme les insectes ou les jeunes tortues marines, qui se dirigent vers des sources lumineuses artificielles plutôt que vers la lueur naturelle de la lune, essentielle à leur survie. D'autres espèces, nocturnes et diurnes, sont repoussées par cette lumière. En réduisant les zones d'obscurité, nous réduisons leur zone d’habitat.
Préserver la nuit requiert des gestes simples et pourtant significatifs. Une lumière superflue dans le jardin ? Son extinction représente un grand geste pour protéger notre biodiversité. Pour aller plus loin, l'installation d'abat-jours permet de diriger la lumière vers le bas, évitant ainsi son envoi vers le ciel. Privilégier les éclairages rouges, moins agressifs que la lumière bleue, contribue également à réduire l'impact sur l'environnement.
Participer à la sauvegarde du vivant et de la nature n'a jamais été aussi accessible : il suffit d'éteindre la lumière...
Pour aller plus loin
Lle Jour de la Nuit nous invite à prendre conscience de l'importance de l'obscurité dans notre environnement. À travers l’observation des étoiles et des sorties natures, chacun est encouragé à apprécier la beauté du ciel étoilé tout en réfléchissant à ses choix d'éclairage.
En 2023, Agir pour l’Environnement a lancé le collectif des Veilleurs de Nuit à l’occasion de la 15ème édition du Jour de la Nuit. Les Veilleurs de Nuit, c’est un collectif de personnes engagées au quotidien pour protéger le ciel étoilé et lutter contre la pollution lumineuse.
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