Une nouvelle tendance qualifiée parfois de rebelle et néo-naturaliste fait de plus en plus parler d'elle : celle du jardin punk. Elle s'inscrit dans la continuité du "jardin en mouvement" façonné par le paysagiste Gilles Clément il y a plusieurs décennies. Pour le paysagiste français Eric Lenoir, auteur des livres Petit (et Grand) traité du jardin punk, il est crucial de réconcilier les jardins avec le caractère mouvant de la nature, et surtout d'oublier les (vaines) tentatives de contrôle sur celle-ci. Mais qu'est-ce qu'un jardin punk ? Comment le mettre en place ? Etats sauvages vous donne quelques éléments de réponses.
Redéfinir notre rapport à la notion de jardin
Un jardin punk, c’est un jardin facile à vivre et peu coûteux à entretenir, qui est également plus autonome et résilient. Cela se traduit par l'application de certains principes proches de la permaculture tels qu'observer, être davantage à l'écoute des sols et du vivant et accepter de composer avec ce que la nature installe spontanément. Finalement mettre en place un jardin punk c'est commencer par ne rien faire. C'est aussi se remémorer que les végétaux, fleurs ou arbres présents dans la nature n'ont pas besoin de nous pour se développer. En résumé, un jardin punk c'est avant tout, comme le clame son inventeur, apprendre à désapprendre.
S'extraire des règles traditionnelles d'entretien d'un jardin demande aussi une part d'acceptation et de résignation. Déjà, avec la biodiversité, qu'il faut être capable d'accueillir mais également avec le regard du voisin ou du grand-père qui n'ont pas forcément les mêmes repères et visions de ce que doit être un jardin...
Habitude bien ancrée dans nos jardins, tondre l'herbe est aussi le symbole le plus marquant de notre mainmise répétée sur la nature qui nous entoure. Ce besoin de "faire propre", de contrôler la libre-évolution des végétaux tout en s'assurant de maintenir une pelouse la plus homogène possible, sont les symptômes de nos jardins actuels. En répétant des gestes comme la tonte ou le désherbage, et en sélectionnant soigneusement les plantes tolérées, ne contribuons-nous pas à un appauvrissement de la biodiversité de ces espaces ? Un paradoxe que nous cultivons en entretenant, parfois drastiquement, nos espaces de nature tout en y installant des accessoires pour favoriser cette biodiversité malmenée. Quelle nécessité d'ajouter nichoirs, hôtel à insectes ou abri à hérisson lorsque les jardins offrent des refuges naturels : haies, arbustes ou arbres, cavités dans les arbres dépérissant ou sous les toitures, amas de vielles pierres, tas de bois mort, mares ou encore prairies diversifiées non fauchées...
Tondre, mais juste un peu...
Favoriser le retour d'une prairie plutôt que d'entretenir une pelouse, c'est favoriser le bon fonctionnement d'un écosystème et le développement d'une micro et d'une macrofaune. C'est offrir également la possibilité à une diversité végétale de recoloniser le lieu (ou de s'épanouir si elle était en dormance) et ainsi d'attirer insectes pollinisateurs et oiseaux, y compris dans des espaces de taille modeste.
Dans son Petit traité du jardin punk, Eric Lenoir propose une autre approche de la tonte, laissant ainsi à la prairie sauvage une véritable place dans nos jardins (ou espaces verts), quels que soient leurs surfaces. En créant des allées ou des îlots entretenus et en laissant le reste en libre expression, la nature peut à nouveau se développer librement et offrir des conditions favorables à la biodiversité. L'objectif étant de laisser cette nature, qu'elle soit en ville ou en campagne, en libre-évolution tout en se ménageant des espaces de circulation.
Il propose par exemple 3 approches différentes pour guider le cheminement de la fameuse tondeuse sans lui laisser prendre le dessus :
En dessinant au préalable des chemins, de préférence en évitant les lignes droites, pour relier des espaces précis du jardin ou mettre en valeur des centres d'intérêt.
En laissant faire le hasard, tout en repérant au préalable certaines plantes à préserver ou certains dangers (souche, roche affleurante, point d'eau...).
En privilégiant un tracé intégrant ce que l'on souhaite supprimer : massifs de ronces, orties, bambous, etc.
Un à trois passages par an peuvent être suffisants pour entretenir ces circulations en fonction de la période choisie pour les créer. Et pour ces espaces tondus, adopter une hauteur de fauche plus importante permettant ainsi de conserver une meilleure couverture et humidité du sol. Un atout précieux avec les sécheresses qui s'intensifient.
Semer, bouturer, transplanter
Passer au jardin punk ne signifie pas pour autant laisser tous les végétaux se développer de manière anarchique. Accompagner ce qui est là, le déplacer à un endroit plus propice pour conserver une circulation, tailler quand l'ampleur devient trop importante sont autant de possibilités d'orienter le paysage qui se met en place. Ainsi les jeunes plants spontanés dispersés par les oiseaux ou la petite faune, comme les boutures d'arbustes finiront pas former des bosquets ou des haies, guidés par un-e jardinier-e paysagiste inspiré-e.
Il est également possible de favoriser ce qui se développe spontanément et que l'on souhaite conserver par pur esthétisme, par souhait d'aider les pollinisateurs ou encore par gourmandise dans le cas de plantes comestibles. Ainsi en récoltant une partie des graines des fleurs sauvages et en les ressemant ou en réalisant ses propres boutures (ou celles que l'on aura troquées), il est possible de démultiplier les espèces et de créer une véritable composition de son jardin.
L'objectif est aussi de s'appuyer sur la récupération ou l'échange pour limiter au maximum le coût des végétaux. Une manière de tisser des liens avec ses voisins et de partager également cette philosophie du jardinage plus proche de la nature.
Recycler, camoufler, transformer
En s'appuyant sur ce qui est déjà présent comme des ruines, des amas de pierres, ou de vieilles souches, il est aisé de fabriquer des supports pour donner du relief à son extérieur. Ce qui semblait une contrainte devient un outil pour permettre l'installation d'une végétation différente : plantes de rocaille ou grimpantes, par exemple. Et c'est aussi un moyen particulièrement bénéfique de favoriser la petite faune qui est aussi un allié précieux au jardin contre certains insectes ou gastéropodes un peu trop voraces.
On peut aussi s'appuyer sur ses déchets végétaux pour créer de nouveaux supports. C'est par exemple le cas des haies sèches, avec la technique du plessage, qui permettent de séparer des espaces tout en créant de nouveaux habitats pour le vivant. Des haies écologiques et économiques qui viendront enrichir le jardin en se décomposant et offriront un débouché utile aux nombreux branchages issus de la taille des arbres et arbustes.
Quand on pense déchets verts, les broyer pour en faire un paillage ou les composter sont souvent les solutions les plus fréquentes. L'écobuage des particuliers étant interdit, ce n'est évidemment plus une solution à privilégier. Mais au lieu de déplacer, transformer et à nouveau devoir disséminer les branches coupées, pourquoi ne pas les laisser sur place, au pied dune haie vive par exemple ou dans un bosquet ? Leur décomposition permettra un lent retour au sol des nutriments essentiels au bon développement des plantations... et servira dans l'intervalle d'abri et d'alimentation à de nombreuses espèces animales ou fongiques.
Et pour celles et ceux qui disposeraient d'un bois - jadis exploités en taillis pour se chauffer - accompagner la conversion vers une futaie en sélectionnant les plus beaux pieds est aussi une manière d'orienter vers une forêt sans détruire ce qui est présent. De la même manière enrichir son bois en collectant les jeunes plants d'essences locales diverses et les transplanter de manière aléatoire ou plus ordonnée est une façon peu onéreuse de faire évoluer la forêt en devenir.
Désapprendre pour réapprendre
Revoir notre façon de jardiner, c'est accepter de questionner notre rapport à la nature. Et la base du jardin punk est une règle que l'on retrouve également en permaculture : celle de l'observation. La première chose, c’est de ne rien faire, c’est d’observer son jardin. Et c'est une démarche qui peut être difficile par impatience ou atavisme, mais c'est pourtant un exercice salutaire pour qui souhaite renouer avec la nature qui l'entoure.
Laisser vivre son jardin, observer ce qui y pousse spontanément, l'influence du cycle des saisons et les espèces - notamment les insectes - qui y reviennent... Un excellent moyen de découvrir la flore puis la faune de sa région et de les apprécier pour ce qu'elles sont, dans toute leur diversité et leurs interactions... et non uniquement pour leur esthétique ou leur caractère utilitaire.
Accepter l'expression spontanée de la nature et l'installation des "mauvaises herbes" en résistant à l'envie de les éradiquer. Il s'agit davantage de les canaliser voire de les tailler pour concentrer ses efforts sur d'autres activités fertiles au jardin. Une succession de végétaux souvent bénéfiques pour les sols et le vivant. C'est aussi accepter de voir évoluer cet espace naturel au fil des ans sans le contraindre, ni lui demander d'incarner un idéal paysager stérile. Et quel plaisir de redécouvrir (et d'apprécier) la beauté gracile des coquelicots, géraniums herbe à robert, carottes sauvages ou lamiers blanc.
Enfin, ultime geste majeur en faveur de la biodiversité de nos contrées, si l'achat est souhaité pour diversifier la flore déjà présente, pourquoi ne pas privilégier les plantes indigènes (notamment au travers du label végétal local) ? Les végétaux locaux sont particulièrement adaptés aux conditions climatiques et édaphiques (relatifs au sol) de nos régions. Ils participent au maintien de la biodiversité régionale, et contribuent à alimenter le potentiel adaptatif de la flore aux changements globaux, maladies et parasites. Alors la prochaine fois que vous hésiterez entre une plante exotique chamarrée, mais totalement déracinée de son milieu, et une espèce rustique bien acclimatée et bénéfique aux écosystèmes, pensez au cortège d'insectes et d'oiseaux qui en dépendront : ils seront assurément la meilleure réponse à vos doutes...
Nos (mauvaises) habitudes en matière de jardinage sont omniprésentes mais que ce soit à la lumière des connaissances scientifiques ou d'une simple observation de la nature, apprendre à lâcher-prise et à laisser faire est probablement le plus grand défi des amoureux de la biodiversité désormais.
Aller + loin...
Petit traité du jardin punk - Eric Lenoir
Grand traité du jardin punk - Eric Lenoir
Emission la Terre au Carré avec Eric Lenoir
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