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Derrière les micro-forêts Miyawaki...

Dernière mise à jour : 25 janv. 2023

Le sujet des plantations citoyennes s’inspirant de la méthode de boisement du botaniste japonais, le Pr. Akira Miyawaki, a pris une certaine ampleur dans les médias depuis 2 à 3 ans. Cette caisse de résonance donnée à cette technique et à ce type de projet, déformante forcément comme souvent avec les médias du fait d’une simplification nécessaire, a également suscité engouement et vocations (auprès de citoyens, d’ONGs, de collectivités, et plus récemment d’entreprises). Les termes de micro ou mini forêts urbaines Miyawaki sont désormais devenus un véhicule commun et les articles relayant la multiplication des initiatives - s’appuyant de manière souvent très partielle sur cette méthode - se comptent désormais par milliers.


Pour des raisons diverses, des réactions d’interrogation ou d’opposition à ce type de projet apparaissent depuis quelques mois sur les réseaux sociaux et dans quelques médias. Entre besoin de corriger certains propos fantaisistes, d’apporter un nouveau regard sur une démarche citoyenne engagée ou de défendre des positions plus larges concurrencées par ces nouveaux types de projets, Etats Sauvages fait le point et élargit les horizons.



Retour sur les principales caractéristiques de la méthode


Dans les années 1970, le botaniste japonais Akira Miyawaki s’intéresse au concept de végétation naturelle potentielle puis développe une méthode permettant de planter une diversité de jeunes espèces indigènes les unes à côté des autres afin de régénérer rapidement les forêts au sein de terres abîmées par des catastrophes naturelles. La méthode d’afforestation diffusée ensuite par l’entreprise indienne Afforest a été construite sur la base des travaux de l’équipe du professeur A. Miyawaki. Dans un article publié en 1999[1] ce dernier revient sur les fondamentaux de cette méthode et s’appuie notamment sur plus de 500 projets au Japon, mais également en Asie du Sud-Est ou en Amérique du Sud.


Dans une vision ultra simplifiée de cette technique, il s’agit de créer, après analyse du sol et étude de la végétation naturelle potentielle de la région, de micro-espaces boisés, en zones urbaines et péri-urbaines. Les semences issues de semenciers identifiés localement sont collectées puis semées au travers d’une pépinière dédiée. Au bout de deux années environ, les jeunes plants peuvent être transplantés. Afin d’accélérer l’installation de ces végétaux, le sol peut être décompacté puis amendé sur 50 à 100 cm de profondeur et les espèces sélectionnées des différentes strates (entre 20 et 50 par projet) - car il ne s’agit pas uniquement d’arbres - implantées manuellement et aléatoirement à raison de 3 plants/m2. Un paillage est ensuite réalisé et entretenu comme un désherbage pendant les trois premières années. Une irrigation peut également être réalisée sur cette même période pour faciliter la reprise. Aucune autre intervention (sélection, éclaircie, élagage…) n’est ensuite opérée.


L’objectif étant de favoriser, en implantant des essences post-pionnières ou de dryades, le développement de zones arborées davantage propices au retour d’une biodiversité variée, telle qu’elle se serait progressivement mise en place naturellement dans le cadre d’une succession écologique. La différence majeure étant le temps, ves étapes nécessitant plusieurs dizaines voire centaines d’années pour accéder à une forêt mature avec son cortège d’espèces inféodées. Mousses, champignons, insectes, oiseaux ou encore petite faune étant fortement liés à la diversité des essences d’une part et à leur stade de maturité d’autre part, il va de soi que ces mini-forêts ne sauraient se substituer à des écosystèmes forestiers laissés en libre-évolution.


En aucun cas cette méthode ne prétend ni ne permet la reconstitution accélérée d’une mini-forêt primaire. Seul le temps et l’absence de perturbations sur plusieurs siècles le permettent.


Et si des raccourcis ont rapidement été faits dans certains médias ou des termes impropres utilisés par des collectifs de citoyens néophytes, cela ne remet pas pour autant en cause la pertinence de cette technique. Cela appelle au contraire un accompagnement bienveillant pour corriger ces approximations et éviter leur propagation.



Accepter le cycle écologique, c’est accepter que le retour de surfaces boisées dans des zones fortement urbanisées demande plusieurs dizaines voire, centaines d'années ; un temps généralement jugé trop long au regard de l’aménagement de telles zones à l’échelle humaine. Bien avant d’appliquer ses travaux aux zones urbaines, A. Miyawaki a cherché avant tout à développer une technique permettant de restaurer rapidement une végétation sur des zones fortement perturbées (tsunamis, glissements de terrains, chantiers importants…) et dont les sols étaient très abîmés.


Ainsi le botaniste a-t-il progressivement développé une méthode éponyme en se basant sur la reconstitution de la terre végétale après analyse (sol) et la plantation mélangée de ses propres semis dotés d’un jeune système racinaire mycorhizé (c'est-à-dire associés à des champignons pour faciliter l’absorption des nutriments). Ces semis sont réalisés à partir d’essences arborées ou arbustives et des végétaux y sont associés issus des derniers stades de la succession écologique d’une forêt. Il a ainsi permis l’installation de forêts multi-strates qu’il qualifie de quasi-naturelles en 15-20 ans au Japon et 40-50 ans en Asie du Sud-Est.


Parmi les résultats diffusés, on retrouve souvent les comparaisons avec l’évolution naturelle d’une forêt sans intervention humaine (accru naturel). Ainsi, les chiffres d’une croissance 10 fois plus rapide, d’une biodiversité 20 fois plus importante et d’une densité 30 fois supérieure se retrouvent régulièrement cités dans les médias et contribuent à nourrir ce mythe d’une reconstruction accélérée d’une forêt par l’Homme. Certaines données sorties de leur contexte, ou manquant d’éléments de comparaison, ont abouti à des aberrations ; et de raccourci en raccourci, à la diffusion de chiffres alors dénués de sens car hors cadre de référence.


La méthode d’afforestation est également importante. Ainsi, plusieurs travaux présentent la méthode Miyawaki comme particulièrement favorable à une installation rapide de la végétation. Une solution qui permettrait de régénérer un environnement forestier quasi naturel sur des échelles temporelles beaucoup plus courtes[2] qu’en utilisant d’autres techniques de plantation plus traditionnelles.


Mais peut-on les qualifier de mini forêts ? C’est une remarque qui revient souvent et déporte le débat sur la définition même du type de formation. Ce sont, en tout cas, des plantations qui nécessitent l’intervention humaine. Mais plusieurs grandes différences distinguent ces projets des plantations forestières à grande échelle. Outre la sélection des végétaux ou la densité de plantation, c’est surtout la diversité des essences de ce futur écosystème qui le distingue des monocultures plantées. Car, à chaque espèce végétale s’associe un cortège potentiel d’espèces vivantes spécifiques (champignons, mousses, lichens, insectes, oiseaux, petite faune…). Et ce cortège évolue en fonction de la maturité des végétaux.



Des forêts… urbaines ?


Certains articles sur les plantations Miyawaki se centrent sur l’utilisation des mots et leur définition, indiquant par exemple qu’utiliser le terme de (mini) forêt est inadapté quand, en foresterie, le terme de bosquet serait plus pertinent. Pourtant, en matière de forêt urbaine - car la majorité de ces projets se concentrent en zones urbanisées, appliquer la terminologie des forestiers ne semble pas forcément plus adaptée. Ni compréhensible par les citoyens.


De par son implantation en zone urbanisée, la forêt urbaine ne satisfait pas à la définition classique de la forêt de l’Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) : « Terres occupant une superficie de plus de 0,5 hectares avec des arbres atteignant une hauteur supérieure à 5 mètres et un couvert forestier de plus de 10 pour cent, ou avec des arbres capables d’atteindre ces seuils in situ. Sont exclues les terres à vocation agricole ou urbaine prédominante »[3].


Alors quelle définition retenir pour appréhender avec justesse les termes de forêt urbaine ? Dans une vision synthétique, la forêt urbaine désigne tous les arbres détenus par des organismes publics et privés dans une zone urbaine. Ce terme inclut les arbres individuels le long des rues et dans les jardins, ainsi que les vestiges de forêts[4].


Pour l’ONU, les forêts urbaines sont des « réseaux ou systèmes incluant toutes les surfaces boisées, les groupes d’arbres et les arbres individuels se trouvant en zone urbaine et périurbaine, y compris, donc, les forêts, les arbres des rues, les arbres des parcs et des jardins, et les arbres d’endroits abandonnés »[5].


Enfin, d’autres définitions prennent en compte la dimension sociologique de ces écosystèmes en précisant que « la foresterie urbaine est l'aménagement des arbres réalisée de telle manière qu'ils contribuent au bien-être physiologique, sociologique et économique de la société urbaine. Elle concerne les terres boisées, et les arbres groupés ou isolés des lieux habités ; elle revêt de multiples aspects car les zones urbaines contiennent une grande variété d'habitats (rues, parcs, coins négligés, etc.) auxquels les arbres apportent leurs nombreux avantages et problèmes » (Denne, adapté de Grey et Deneke, 1986).


Autant de définitions qui montrent bien la complexité liée à la dénomination de ce type de projet et qui rendent par là-même le dialogue entre les disciplines plus difficile.




Quel recul en Europe ?


Si certains articles reprochent le manque de confirmation scientifique des résultats présentés en France, les ressources sont toutes aussi lacunaires pour critiquer la méthode. Plus concrètement, et ce, malgré les communications récurrentes dans les médias, il n’existe à date pas d’études permettant d’infirmer ou de confirmer les données communiquées par le botaniste. Celles-ci ayant de toute façon été réalisées dans des conditions écologiques très différentes. Deux universités, à Nantes et Toulouse, ont commencé un suivi de ces projets de plantations citoyennes, mais les résultats et comparaisons avec les parcelles témoin demanderont plusieurs années avant d’être publiés. Tirer des conclusions définitives sur les bienfaits ou inconvénients de cette approche est donc prématuré.


En Europe, la seule étude[6] publiée portant sur une plantation Miyawaki est celle réalisée en Sardaigne, dans des conditions méditerranéennes plus arides que celles rencontrées sur le territoire hexagonal. Les résultats obtenus au bout de 2 et 11 ans après la plantation sont positifs : les chercheurs ont comparé les techniques traditionnelles de reboisement (qui avaient échoué dans ces conditions difficiles), à la technique Miyawaki utilisée. Dans leur article, ils ont notamment publié que la biodiversité y apparaissait très élevée, et que la nouvelle communauté végétale avait pu évoluer sans autre accompagnement. Enfin, ils en ont conclu que la mise en œuvre de cette technique, revue pour en diminuer les coûts, pourrait fournir un outil innovant pour les forestiers et experts en génie écologique du reboisement en zone Méditerranée.


Aux Pays Bas, l’IVN Nature Education a porté plus d’une centaine de projets. Ils indiquent par exemple que « ces forêts attirent la biodiversité, notamment des insectes et de nouvelles espèces végétales [et] admettent qu’elles ne résoudront pas le changement climatique à elles seules, les études prouvent que ces petites parcelles de nature peuvent contribuer à la séquestration du dioxyde de carbone. En outre, elles aident les villes à s’adapter à la hausse des températures »[7].


Parallèlement, l’université de Wageningue (WENR) surveille 11 petites forêts différentes chaque mois depuis février 2018 au travers d’un programme de sciences participatives. En 2020, un premier rapport intermédiaire sur la biodiversité basé et sur 261 308 observations a été diffusé[8]. Ainsi, 636 espèces animales et 298 espèces végétales (excluant les espèces végétales plantées initialement) y ont été découvertes. Les premières études en 2017 sur deux micro-forêts avaient permis de mettre en évidence un accroissement de la biodiversité en comparaison des forêts alentours[9].


Concernant la séquestration du carbone, leurs premiers résultats suggèrent que, dans une petite forêt, celle-ci continue de croître pendant 50 ans après la plantation, pour atteindre ensuite un niveau stable similaire à celui d’une forêt néerlandaise. Une technique de plantation qui semble aussi efficace que d’autres formes de reforestation aux Pays-Bas, mais ne permettrait pas un résultat en termes de stockage du carbone plus prometteur. Un rappel, s’il en était besoin, que malgré leur intérêt, la question du changement climatique ne saura être résolue par des plantations : seule la réduction massive des émissions de gaz à effet de serre le pourra.


Pour le chercheur Fabrice Ottburg, également directeur des études sur les micro-forêts néerlandaises au sein de l’université de Wageningue, celles-ci « peuvent faire la différence au sein d’une stratégie à plus grande échelle qui vise à intégrer davantage d’espaces verts dans les zones urbaines »[7].



Quelle résilience face au changement climatique ?


Parmi les reproches qui peuvent être formulés se retrouve celui de la capacité d’adaptation au changement climatique de ces micro-forêts. Sujet qui divise déjà les forestiers sur de plus grandes échelles. Lorsqu’elles suivent les directives du Pr. Miyawaki, les mini forêts s’appuient sur l’épigénétique des espèces qualifiées d’indigènes (ou présentes a minima depuis plusieurs siècles sur le territoire). Cette analyse de la végétation naturelle potentielle préalable à la sélection a pour objectif de déterminer les espèces les plus adaptées aux conditions écologiques locales. Il s’agit donc de retenir les végétaux ayant intégré les caractéristiques de leur milieu naturel et de privilégier les spécimens les plus adaptés aux conditions actuelles. Pour autant, cela ne saurait présager de leur résilience si les conditions venaient à évoluer rapidement.


Les données sur l’adaptation des forêts urbaines au réchauffement climatique sont aujourd’hui insuffisantes pour déterminer les essences les plus résistantes dans ce cadre et orienter les aménagements. Ainsi, une étude[10] en cours au sein de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), portant sur la « Résilience des forêts urbaines du Canada aux stress thermiques et aux sécheresses », estime dans ses premiers constats que les alignements d’arbres réagissent mieux que ceux des parcs aux variations de température. Un résultat surprenant qui vient appuyer le manque de données collectées et analysées sur les forêts urbaines. Pourtant « Ne rien faire en attendant d’avoir les connaissances, […] n’est pas une solution », estime M. Paquette, directeur de l’étude et titulaire de la chaire de recherche sur la forêt urbaine de l’UQAM. Selon lui, la meilleure façon de faire reste la diversification. La ville de Montréal, qui a prévu de planter 500 000 arbres d’ici 2030, reconnaît l’importance de cette diversité et prévoit de planter 100 espèces différentes en 2021.



D’autres effets bénéfiques


D’après les Nations Unies[5], « les forêts urbaines sont des régulateurs efficaces des cycles hydrologiques urbains. Elles filtrent l’eau potable en réduisant les polluants biologiques et chimiques; elles réduisent les risques d’inondation et d’érosion; et elles réduisent les pertes d’eau en atténuant au maximum les conditions mésoclimatiques extrêmes grâce aux processus d’évapotranspiration ». Ainsi, accroitre la végétalisation en ville permet d’aider à réduire les inondations lors de fortes précipitations et à abaisser la température ambiante pendant les vagues de chaleur, par l'ombrage et l'évaporation. La problématique des ilots de chaleur urbains est de plus en plus prégnante. Il existe également des avantages indirects importants, tels que la réduction de la consommation d'énergie pour le refroidissement des bâtiments (climatisation) ou encore le bien-être des habitants.


Les solutions vertes, ou Solutions fondées sur la Nature (SfN) font l’objet d’un intérêt croissant de la part de la société civile, mais aussi des scientifiques. Ainsi, une équipe de scientifiques a récemment modélisé le potentiel global des forêts urbaines du monde en matière de stockage du carbone et d'atténuation du changement climatique[11]. Un potentiel annuel considérable qui permettrait même pour 6 % de ces villes de séquestrer plus de 25 % du carbone émis localement en se boisant.


Les forêts urbaines apportent de nombreux autres bénéfices (biodiversité, santé, supports d’usages sociaux…). Dans une démarche plus globale, l’ADEME a réalisé un état des connaissances des solutions de rafraîchissement urbain[12]. Celles-ci sont à évaluer selon une approche multicritère afin de maximiser les bénéfices rendus et limiter les impacts négatifs. Les solutions dites « vertes », ou basées sur la végétalisation présentent toujours des effets positifs à extrêmement positifs quand les aspects négatifs sont principalement leur coût de mise en œuvre, et dans une moindre mesure, l’accès à l’eau. Et ce, loin devant les solutions techniques, dites grises.


Comme le rappelle l’ADEME « aucune solution ne peut résoudre seule la problématique de la surchauffe urbaine. Ains,i les projets urbains combinent généralement plusieurs solutions ». Les mini forêts inspirées de la méthode Miyawaki peuvent justement être l’une des réponses, sans pour autant régler toutes les problématiques. Les plantations Miyawaki rejoignent ainsi une série d’outils[13] dont les agglomérations peuvent se saisir pour créer ou développer leur forêt urbaine. Aussi, comme l’indique le scientifique Serge Muller « il est souhaitable que cette nouvelle approche, séduisante et mobilisatrice d’enthousiasme et d’adhésion citoyenne dans le cadre de projets participatifs, prenne toute sa place dans la panoplie des actions à développer, au côté des plantations d’arbres en ligne dans les rues, de l’extension des squares et parcs boisés, ainsi que de la création de ‘ forêts urbaines ‘ moins denses mais plus étendues, afin d’assurer une végétalisation accrue des zones urbaines ».




Conserver une vigilance


L’engouement actuel pour la méthode Miyawaki de par le monde amène aussi son lot de critiques et déviances. Celle-ci a été progressivement déployée au travers de plusieurs milliers de projets portés par une grande variété d’acteurs. Les questions soulevées concernent finalement moins la méthode en elle-même du point de vue de son efficience ou de sa fiabilité scientifique, que la communication qui est faite autour.


  • Un sujet peu étudié

Certaines remarques s’appuient par exemple sur un manque d’études venant confirmer scientifiquement les résultats publiés par le professeur. En consacrant une grande partie de sa carrière à ses travaux de restauration de forêts quasi naturelles, A. Miyawaki a ainsi produit plusieurs dizaines d’articles scientifiques basés sur plusieurs milliers de plantations au Japon et de par le monde. Pour autant, il est difficile de trouver d’autres études menées par des pairs.


Ainsi circulent des chiffres de croissance jusqu’à 10 fois supérieur ou encore d’un gain de 20 à 100 fois plus de biodiversité par rapport à un projet témoin de forêt naturelle : ils ne sont ni infirmés ni confirmés par des recherches à date. Il convient d’être particulièrement vigilant sur le contexte dans lequel ils ont été produits. Ces indicateurs ont semble-t-il été communiqués par S. Sharma de la société Afforest et seraient basés sur des plantations de mini forêts en Inde. Si cet ingénieur a largement contribué à populariser cette méthode, il s’en est également éloigné dans le choix des végétaux indigènes. Ces données sont malheureusement souvent reprises sans réflexion préalable par les médias, collectivités ou porteurs de projets en Europe ; elles renvoient aux projets menés dans des conditions spécifiques bien différentes.


Si les micro-forêts Miyawaki ont fait l’objet de travaux documentés au Japon, et en l’absence de recul et de données suffisantes en Europe, il apparait donc nettement plus prudent de ne pas extrapoler ces chiffres au territoire français. Et encore moins de baser des politiques de contribution à la séquestration du carbone ou à la réduction de la perte de la biodiversité dessus. Et même en Inde où ces projets ont été réalisés, l'écologue indien Yellappa Reddy[14] rappelle qu’une forêt n'est pas seulement constituée d'arbres, mais qu’il s’agit d'un écosystème complexe. Sa maturité est le fruit d’un long processus que l’Homme ne saurait accélérer.


  • Un alibi en or

Un autre biais, cette fois de perception et alimenté par une simplification des processus naturels via des actions de communication, entretient l’idée fausse qu’un arbre planté équivaut à un arbre coupé. Une simplification qui offre une solution clé en main particulièrement dangereuse à des démarches destructrices des forêts. Aucune plantation, et ce, quelle que soit la méthode employée, n’est en capacité de fournir les mêmes services écosystémiques qu’une forêt mature. Il ne s’agit évidemment pas d’un problème lié à la méthode Miyawaki mais bien de son exploitation à des fins de communication voire de greenwashing, de la même manière que certaines entreprises peu vertueuses diffusent sans scrupules le message d’un produit acheté = un arbre planté. Des publicités qui ne s’appuient d’ailleurs pas sur des projets de plantations Miyawaki mais davantage sur des plantations souvent en monocultures dans des pays du Sud pour des raisons évidentes de coût.


  • Un coût conséquent

Dans les reproches faits aux projets de boisement Miyawaki, son coût peut apparaitre comme excessif au regard d’autres méthodes. Parmi les postes onéreux, citons l’analyse puis le travail du sol, ou encore la forte densité de plants (3 à 5 par m²) pour recréer une forêt multi-strates. Cette densité favorise la mise en place de mécanismes de collaboration et de compétition. Il en résulte au bout de plusieurs années une sélection naturelle conduisant à la mort d’une partie des végétaux. La diversité des espèces et leur implantation aléatoire dense a également un rôle : celui de faire ressortir les espèces les plus résistantes et donc les plus adaptées aux conditions du site. Une démarche bien différente de celle entreprise par les forestiers ou les paysagistes.


Les moyens financiers nécessaires au déploiement de micro-forêts Miyawaki sont également variables. Beaucoup de projets s’inspirent seulement de la technique Miyawaki et ne suivent donc pas l’intégralité des étapes comme le travail du sol. Ils plantent aussi moins densément. Enfin, certains nécessitent la mise en place de protections, moins contre la faune que le vandalisme. En France, ces projets ont été jusqu’à présent majoritairement portés par des collectifs de citoyens. Le financement se fait alors le plus souvent par des collectes de dons auprès du public (crowdfunding). Ces financements participatifs peuvent également être complétés par des dons de fondations ou d’entreprises mécènes. Lorsque les projets sont réalisés sur des terrains publics, les collectivités s’associent au financement notamment au travers de leur budget participatif (projets sélectionnés par les habitants).


  • Un nouvel eldorado ?

Plus récemment, des entreprises françaises se sont intéressées à cette méthode particulièrement médiatisée. Surfant sur cet engouement, elles ont prospéré et utilisé cette technique pour développer une activité commerciale, oubliant au passage certains éléments constitutifs tels que l’implication bénévole des citoyens, pour répondre aux cahiers de charges d’entreprises ou de collectivités. Certains en ont même fait un argument marketing, les projets s’industrialisant et jouant sur la vague très critiquée de la compensation carbone[15]. Mais à l’instar d’autres types d’actions de greenwashing, les orientations d’un acteur mercantile ne doivent pas pour autant occulter les démarches portées par des collectifs de citoyens. Au-delà d’une méthode d’afforestation rapide, il est surtout question d’intention des acteurs : quelle démarche pour quels objectifs et avec quels moyens ? Ce n’est pas la démarche de plantation d’un arbre qui pose question mais bien l’acteur et ses motivations sous-jacentes.



Une réponse au désir d’engagement citoyen pour la planète


La méthode déployée par le botaniste A. Miyawaki et depuis largement diffusée en open source de par le monde a créé une formidable émulation auprès de citoyens de plus en en plus engagés dans la préservation du vivant. Chacun se saisissant d’outils à sa portée et essayant à son petit niveau de démultiplier les impacts positifs pour son environnement proche. Probablement parfois avec maladresse ou impatience.

Il existe pourtant bien d’autres exemples d’actions citoyennes de boisement telles que la plantation de haies, qui ne rencontrent pourtant pas le même écho au sein des médias, ni les mêmes réactions de la part de détracteurs. Et c’est un point important, car au-delà la méthode, c’est l’engouement qui pose aussi problème aujourd’hui. L’engouement des médias et l’engouement des citoyens. Certains attirés par une solution prête à l’emploi, d’autres par une action locale forte sans vision à l’échelle d’un territoire, d’autres encore par une injonction d’agir et de s’engager pour préserver son cadre de vie…


Mais c’est aussi cette ingérence d’amateurs dans des domaines pris en charge jusqu’à présent par les scientifiques ou les professionnels du boisement qui est questionnée. La question de l’engagement et surtout de l’impact concret sur le terrain est devenue primordiale pour nombre d’entre nous. Elle se traduit forcément par de multiples réponses. L'une d'entre elles est la plantation de ces mini forêts urbaines Miyawaki. Ni solution miracle, ni supercherie, cet outil n’en demeure pas moins intéressant.


Pour Jeroen Schenkels, conseiller principal de la planification écologique de la ville d’Utrecht (Pays Bas) désormais dotée de sept micro-forêts Miyawaki, « l’une des plus grandes valeurs de ce projet réside sur le plan social ». Dans une interview[16] , il déclare : « l’une des choses les plus importantes, c’est que vous donnez l’opportunité aux gens de s’impliquer pour la nature du quartier ».


Pour autant, il convient de garder à l’esprit qu’il s’agit de petits projets de quelques centaines de mètres carrés : bien loin des dizaines de milliers d’hectares annuels plantés par le monde forestier[17]. Un rappel d’ordre de grandeur nécessaire quand la couverture médiatique semble indiquer une multiplication exponentielle des surfaces concernées par ces types de projets. Si leur nombre croît effectivement ces dernières années, la surface couverte par des plantations Miyawaki reste anecdotique.




Refuser de creuser un fossé


Certains critiques s’avancent à parler de rigueur scientifique douteuse pour décrédibiliser les propos des porteurs de projets, quand les études sont tout simplement absentes pour confirmer ou infirmer les positions avancées. Les souhaits de collaboration entre citoyens et acteurs du monde scientifique ou professionnel sont réels, mais malheureusement encore peu concrétisés dans la pratique sur ce sujet. Et ces crispations soulignent ce décalage qui n’a jamais été aussi important entre la société civile et les professionnels du monde forestier… A l’instar des sciences participatives, ces nouveaux chantiers participatifs - cette fois initiés par les habitants - ne seraient-ils pas de formidables passerelles pour accélérer un dialogue indispensable ? Aujourd’hui, nombre de citoyens ne veulent plus attendre l’autorisation d’agir.


Proposer une réponse constructive permettrait pourtant de travailler à la fois sur le fond de ce type de projet, en mêlant expériences et énergies, comme leur forme. Et notamment la question actuelle de certains messages simplistes véhiculés. Car rejeter sans chercher à comprendre ce qui se joue pour les citoyens derrière de tels projets, c’est renforcer des positions dogmatiques. Ces mêmes positions qui ont creusé un fossé entre la filière forêt-bois et les citoyens, et rendent aujourd’hui le sujet si sensible. Dans leur immense majorité, les porteurs de projets sont des passionnés qui se documentent, se forment et recherchent le partage de connaissances. Co-construire de telles initiatives, en corrigeant les écueils déjà identifiés et en accompagnant les discours pour éviter les raccourcis maladroits, permettrait assurément d’avancer plus rapidement dans une direction que tous appellent de leurs vœux.



Comme pour toute activité, le cortège d’acteurs impliqués présente des profils variés. Les plantations de mini-forêts Miyawaki sont très majoritairement portées par des collectifs de citoyens, certains s’adossant à leur collectivité, d’autres à des propriétaires privés pour accéder au foncier. Le financement de tels projets se fait souvent par crowdfunding et soutien de fondations ou par budget collaboratif ou subventions des collectivités. Le revers de ces sources de financement est – comme dans tout projet – le risque de récupération voire de greenwashing. Il s’agit là avant tout de politique et de communication, mais en aucun cas d’une externalité négative de la méthode. Comme souvent, l’outil est neutre, c’est ce que nous en faisons et comment nous le diffusons qui teinte ensuite la perception que nous en avons.


Concernant l’argument scientifique et les données chiffrées sur lesquelles les médias ont construit la notoriété de cette méthode, ils sont évidemment contestables. Et c’est le propre de la science que de se questionner et remettre en perspective les travaux d’une équipe au fur et à mesure des avancées de la recherche. Pour autant, et sans affirmer ou contredire, il convient de rappeler le manque de recul actuel sur les impacts de cette technique d’afforestation. Un manque de recul dû à la fois au temps long de ce type d’études, mais également à la jeunesse de la diffusion hors du Japon de ces travaux. Hormis les premiers éléments descriptifs des peuplements réalisés comme en Belgique[18] ou aux Pays-Bas[9], les porteurs de projets s’appuient donc aujourd’hui majoritairement sur les travaux du professeur Miyawaki pour communiquer.



Forêts contre micro-forêts ?


Si nous vivons dans un monde où industrie et urbanisation connaissent une croissance galopante, le choix – en zone urbaine et péri-urbaine - de laisser faire la Nature est rarement privilégié en matière de restauration des écosystèmes naturels. La friche est souvent mal perçue malgré son intérêt écologique. La forte dégradation des sols, liée aux activités anthropiques, couplée à des conditions particulièrement difficiles pour la recolonisation rapide de ces zones, orientent bien souvent collectivités et habitants vers des solutions de plantation. La libre-évolution est sans conteste la voie de l’humilité et du temps juste, mais est-elle applicable partout sans faire abstraction de notre Société ?


Les plantations - a fortiori en zones urbanisées - ne sont pas incompatibles avec la préservation des forêts mais nécessitent une importante sensibilisation du public pour éviter des raccourcis préjudiciables. L’arbre ne doit justement pas occulter la forêt. Une forêt est un écosystème bien plus complexe qu’une somme d’arbres plantés. Ce sont ces communications ultra-médiatisées qui laissent à penser qu’en replantant des arbres, avec souvent une grande pauvreté dans le choix des essences, une nouvelle forêt jaillira de terre en quelques années. Et que, par là même, déboiser des forêts naturelles, parfois très anciennes, peut être remplacé par des projets de plantations. Les conséquences sont évidemment catastrophiques : relargage du carbone, destruction de la biodiversité, des sols, ou encore paysages durablement modifiés… Autant d’effets pervers rarement présentés quand un programme de plantation est diffusé.


Pourtant, certains projets de plantations – lorsqu’ils ne se font pas au détriment de milieux naturels remarquables - apportent des bénéfices réels. Ainsi, le déploiement des forêts urbaines comme nous l’avons vu précédemment, mais aussi la plantation de forêts comestibles ou encore de haies bocagères ont toute leur place. L’idée n’étant pas d’opposer ces typologies de projets mais justement de les associer en les additionnant. Et de rappeler - puisqu'il est nécessaire de le marteler - que si nombre de projets se concentrent aujourd'hui sur des plantations d’arbres, les services attendus par ces jeunes plantations mettront des décennies à générer les bénéfices fournis par des écosystèmes aujourd’hui matures. La préservation des vieilles forêts et d’espaces laissés en libre-évolution en France est désormais une urgence et le choix de méthodes plus proches de la nature pour la sylviculture comme la végétalisation en zones urbaines et péri-urbaines une nécessité.




 


[1] MIYAWAKI A. (1999), « Creative Ecology: Restoration of Native Forests by Native Trees », Plant Biotechnology

[2] KIBOI et al. (2015), « Sustainable Management of Urban Green Environments: Challenges and Opportunities », in Sustainable Living with Environmental Risks, pp. 223 – 236 - Lien

[3] FAO (2012), « Termes et Définitions », Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture - Lien

[4] Nowak D., et al (2010),. « Sustaining America’s Urban Trees and Forests ». United States Department of Agriculture. Forest Service - Lien

[5] SALBITANO F. et al (2017), « Directives sur la foresterie urbaine et périurbaine », Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture - Lien

[6] SCHIRONE B. et al (2010), « Effectiveness of the Miyawaki method in Mediterranean forest restoration programs », Landscape and Ecological Engineering - Lien

[7] HEWITT E. (2021), « Les micro-forêts, meilleures alliées des villes », National Geographic - Lien

[8] OTTBURG F (2020), « Petites forêts », Wageningen Environmental Research - Lien

[9] OTTBURG F, LAMMERTSMA D, BLOEM J, DIMMERS W, JANSMAN H, WEGMAN R. (2018), « Tiny Forest Zaanstad; Science citoyenne et détermination de la biodiversité dans la petite forêt de Zaanstad », Wageningen Environmental Research - Lien

[10] DUSSAULT L. (2021), « Les forêts urbaines menacées ? », La Presse - Lien

[11] TEO HC. et al (2021), « Global urban reforestation can be an important natural climate solution », Environmental Research Letters - Lien

[12] ADEME (2021), « Rafraîchir les villes, des solutions variées » - Lien

[13] MULLER S. (2021), « Microforêts urbaines : que penser de la « méthode Miyawaki » ? , The Conversation - Lien

[14] KAUSHIK T. (2019), « Miyawaki forests are no substitute for natural ones: Experts », The Economic Times - Lien

[15] FRESSOZ M. (2021), « TreesEverywhere, la start-up qui compte planter 1 milliard d'arbres en France », Le Journal du Dimanche - Lien

[16] HEWITT E. (2021), « Les micro-forêts, meilleures alliées des villes », National Geographic - Lien

[17] DE LA CHESNAIS E. (2019), « La forêt sauvage gagne du terrain en France », Le Figaro - Lien

[18] URBAN FOREST (2020), « La méthode Miyawaki, chiffres & concepts » - Lien


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