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La lutte biologique, un travail de fourmi !

Notre opinion sur les insectes est ambigüe et contradictoire… Soit ils nous fascinent, comme lorsque l’on voit virevolter un joli papillon au beau milieu d’un champ de fleurs ; soit ils nous déplaisent, par exemple lors d’une invasion de pucerons dans une culture de légumes. Après avoir utilisé pendant des années des pesticides et des produits chimiques pour lutter contre les insectes ravageurs des cultures, de nouvelles stratégies de défense de culture sont apparues. Une bataille bien plus importante que celles engendrées par nos sentiments s’est ainsi jouée entre les insectes sous nos pieds, celle de la lutte biologique !


La lutte biologique, qui fait partie d’une des méthodes de biocontrôle, est un moyen pour agir contre les insectes ravageurs des cultures, à l’aide d'organismes vivants appelés auxiliaires des cultures. Le but de cette lutte biologique est de contrôler les populations des insectes ravageurs, et ainsi réduire les dégâts qu’ils engendrent sur les plantes sans utilisation de pesticides.


 


Les bioagresseurs, menace de l’agriculture


Une des principales problématiques qui touche aujourd’hui l’agriculture est la présence de bioagresseurs dans les cultures. Les bioagresseurs, aussi appelés « ennemis des cultures », sont des organismes vivants qui attaquent les plantes cultivées, et sont ainsi susceptibles de causer des pertes économiques. Ils sont répartis sous trois grandes familles : les agents phytopathogènes (champignons, bactéries, virus principalement), les adventices (ou « mauvaises herbes ») qui concurrencent les plantes cultivées, et les ravageurs animaux. Ces derniers, appelés les ravageurs des cultures, attaquent les plantes cultivées ou les récoltes stockées, et appartiennent à cinq embranchements : les mammifères (principalement les rongeurs), les oiseaux, les nématodes, les mollusques, ainsi que les arthropodes (principalement les insectes et les acariens).


Les différentes familles des bioagresseurs et des ravageurs des cultures

Les scientifiques ont estimé que, dans le monde, les insectes dans leur ensemble pèsent particulièrement sur l'agriculture en affectant près de 40 % des biens de consommation (l'équivalent de ce qui pourrait nourrir un milliard d'êtres humains) (Corey et al., 2016). La lutte contre ces ravageurs des cultures, et principalement contre les insectes, est donc indispensable aux agriculteurs.



L’utilisation des pesticides et leurs controverses


C’est à partir des années 1930-1940 que l’utilisation de la chimie en agriculture s’est développée. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, aux États-Unis et en Europe, son utilisation s’est amplifiée. Dans les années 70, sont arrivés les herbicides qui permettaient d’économiser la main-d’œuvre pour désherber, puis, les insecticides pour réduire les ravages sur les cultures et les risques de stockage des aliments, et enfin les fongicides, utilisés contre les maladies des plantes.



Cependant, ces pesticides et produits chimiques sont devenus controversés, notamment grâce au célèbre ouvrage « Le printemps silencieux » de Rachel Carson paru en 1962 aux Etats-Unis, dénonçant les risques irréversibles que les pollutions chimiques font courir aux écosystèmes naturels. De nombreuses études ont ensuite démontré que les pesticides sont impliqués dans de nombreuses polémiques liés à la santé humaine et animale, aux impacts sur la biodiversité, à l’accumulation dans les sols, à la contamination des milieux aquatiques, ainsi qu’à des phénomènes de résistance.


En effet, l’utilisation intensive et généralisée des pesticides a soulevé des préoccupations environnementales et sanitaires en raison de la contamination des ressources naturelles. Lors de leur application, seule une fraction des pesticides appliqués atteint ses objectifs, le reste (30 à 50 %) finissant à la surface du sol et se dispersant ensuite par le biais de plusieurs processus abiotiques, notamment la volatilisation, l’érosion éolienne, le lessivage ou le ruissellement.


C'est ainsi que l’accumulation des pesticides dans les sols constitue une menace pour les micro-organismes du sol, pourtant à l’origine de processus pédologiques essentiels tels que le cycle du carbone et des nutriments. De plus, les pesticides ont été directement et indirectement liés à la diminution des populations d’oiseaux, d’insectes et de pollinisateurs. Or ces organismes terrestres et aériens fournissent un large éventail de services écosystémiques ; les effets délétères des pesticides affecteraient la santé du sol, la pollinisation, et la prédation naturelle des insectes, et par conséquent auraient des répercussions sur les productions agricoles elles-mêmes.


Les pesticides rémanents et solubles dans l'eau peuvent également s'infiltrer dans le sol jusqu'à la nappe phréatique. Ces eaux souterraines polluées peuvent atteindre les puits et les cours d'eau, ce qui constitue une menace sérieuse pour la santé des humains, des animaux et des cultures. Plusieurs études épidémiologiques ont mis en évidence des liens entre l’exposition aux pesticides et le risque d’apparition de pathologies cancéreuses (cancer du sang, cancer de la prostate), neurologiques (maladie de Parkinson), troubles cognitifs (pneumonie chronique, bronchite chronique) ou encore de troubles de la reproduction. En plus de tous ces risques écologiques et sanitaires, des phénomènes de résistance peuvent apparaître, qui sont en augmentation depuis les dernières années. Cette résistance se manifeste par la capacité d’un individu à survivre une application de pesticides à des doses normalement létales, et peut être ensuite transmise aux générations futures.


En France, les deux exemples de pesticides les plus controversés concernant le glyphosate, un herbicide, et les néonicotinoïdes, des insecticides utilisés sur les semences de betteraves sucrières. On sait depuis 2015 que le glyphosate est classé comme « cancérogène probable » pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer. L'Union européenne avait donné au désherbant controversé une autorisation provisoire qui devait expirer à la fin 2022. Cependant, la Commission a décidé de la prolonger jusqu'au 15 décembre 2023, malgré l'opposition de nombreux États membres.


Concernant les néonicotinoïdes, leur utilisation commune dans le monde entier pourrait poser des problèmes de sécurité environnementale, alimentaire et sanitaire pour l'Homme et les abeilles domestiques (d’où leur surnom de « tueurs d’abeilles »), mais aussi pour les apidés sauvages et de nombreux autres groupes (invertébrés terrestres et aquatiques, poissons, reptiles et amphibiens, oiseaux insectivores, rongeurs, chiroptères). Le 23 janvier 2023, le gouvernement a finalement renoncé à accorder une nouvelle dérogation permettant aux betteraviers d’utiliser des semences enrobées de néonicotinoïdes.


Des alternatives à ces pesticides commencent à enfin à se développer, comme le paillage, ou encore l’utilisation de variétés de betteraves sucrières plus résistantes aux pucerons vecteurs des virus de la jaunisse.


Les insecticides de types néonicotinoïdes sont surnommés les « tueurs d’abeilles »


Les alternatives aux pesticides


C’est pourquoi depuis les années 2000, la forte sensibilité environnementale et la pression sociétale ont conduit les gouvernements à réduire l’homologation des produits phytosanitaires. Diverses dispositions législatives sont progressivement mises en place dans le but de limiter l’usage des pesticides. Pour autant, il n’est pas simple de changer les pratiques des agriculteurs, surtout lorsque des considérations économiques sont en jeu. C’est ainsi que de nouvelles stratégies de défense de culture apparaissent : l’une d’entre-elles est appelée la Protection Intégrée Biologique.


La Protection Intégrée Biologique est la combinaison de deux méthodes de lutte contre les ravageurs : le Biocontrôle (incluant la lutte biologique) et la Lutte Intégrée. Elle représente un ensemble très varié de pratiques ayant pour objectif de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires dangereux.




La lutte intégrée est une méthode rationnelle d'une combinaison de mesures biologiques, chimiques, physiques, et culturales dans le but d’améliorer les végétaux. Le biocontrôle, lui, consiste à combattre un organisme nuisible via des mécanismes naturels appartenant soit au règne animal soit au règne végétal, ou qui en dérivent. Ces mécanismes naturels sont classés suivant 4 familles :

- Les médiateurs chimiques, telles que les phéromones ou les kairomones ;

- Les substances naturelles, comme les extraits de plantes, d’algues ou de minéraux ;

- Les micro-organismes, virus, bactéries, champignons ;

- Les macro-organismes, insectes, nématodes ou vertébrés.



Les 4 mécanismes naturels constituant le biocontrôle – Les médiateurs chimiques, les substances naturelles, les micro-organismes et les macro-organismes



La lutte biologique à l’aide d’auxiliaires de cultures


L’utilisation des micro et macro-organismes correspond à la méthode qu’on appelle la lutte biologique. La lutte biologique permet ainsi de lutter contre des nuisibles de différentes natures :

- les ravageurs des cultures (mammifères, oiseaux, nématodes, mollusques et arthropodes)

- les maladies, fongiques, bactériennes, virales…

- les plantes adventices (appelées également « mauvaises herbes »).


Cette lutte s’effectue donc au moyen d'organismes vivants antagonistes, appelés agents de lutte biologique ou auxiliaires des cultures. Ces auxiliaires de cultures peuvent être de différentes natures, présentant différents modes de vies :

  • Les Parasitoïdes – ce sont des organismes dont les stades juvéniles vont se développer sur, ou dans, un autre organisme appelé hôte. Les parasitoïdes tuent obligatoirement leur hôte pour terminer leur développement. La plupart des parasitoïdes sont des insectes. Deux types de parasitoïdes sont principalement utilisés en lutte biologique. Les parasitoïdes dits « oophages », c’est-à-dire qu’ils pondent leurs œufs dans les œufs d’autres insectes. Cela entraîne la mort de la larve dans l’œuf. L'œuf hôte devient une réserve de nourriture pour le développement du parasitoïde. Les parasitoïdes dits « larvaires » qui eux pondent leurs œufs dans la larve des insectes.


  • Les Prédateurs – ce sont des organismes qui se nourrissent directement du ravageur. Les prédateurs peuvent être des invertébrés, comme par exemple des nématodes ou encore des arthropodes. Les prédateurs invertébrés les plus connus en lutte biologique sont probablement les larves et les adultes de coccinelle qui raffolent de pucerons, mais il existe bien d’autres insectes capables de prédater d’autres insectes, par exemple les larves de syrphes, les punaises, les larves de chrysopes, ou encore les perce-oreilles. Les prédateurs peuvent également être vertébrés ; c’est le cas de certains oiseaux comme les mésanges, et de certains mammifères, par exemple les hérissons ou encore les chauves-souris.


  • Les Agents pathogènes – ce sont des micro-organismes de type virus, bactéries ou champignons qui vont provoquer une infection, une allergie ou une intoxication chez le ravageur, conduisant à sa mort.


Les auxiliaires pour lutter contre les ravageurs des cultures. A) Trichogrammes et œufs de papillons. B) Guêpe parasitoïde et puceron. C) Punaise et thrips. D) Larve de coccinelle et pucerons. E) Nématodes et chenille. F) Mésange et chenille processionnaire. G) Oreillard brun et papillon. H) Rouge-gorge et insecte. I) Champignons et charançon rouge. J) Virus pathogène de chenille.


Cette lutte biologique a également toute sa place sur des surfaces plus petites, comme dans un jardin ou un potager. En effet, il peut être très bénéfique d’essayer d’attirer les auxiliaires naturels dans son jardin, qui se chargeront de s’occuper de vos ravageurs. En apportant aux agents de lutte biologique des conditions de vie idéales, comme un refuge (hôtels à insectes, nichoir à oiseaux ou chauves-souris), des cachettes (pierres, souches d’arbres…), de la nourriture (des fleurs), et de l’eau, on peut les attirer et favoriser leur multiplication. L’arrêt d’un contrôle excessif ajouté à la préservation d’un écosystème fonctionnel et naturel, comme c’était fait par le passé, est probablement le meilleur moyen de lutter contre ces ravageurs et d’avoir un jardin rempli de vie !


La préservation d’un écosystème fonctionnel permet d’attirer les auxiliaires de rétablir l’équilibre de la biodiversité

Et demain ?


La lutte biologique représente une des alternatives écologiques futures à l’utilisation des pesticides. Néanmoins, il faut que cette lutte biologique soit utilisée en pleine conscience et après des expérimentations techniques précises, pour éviter de reproduire les erreurs du passé. Un des exemples qui reste en mémoire est celui de la coccinelle asiatique. Ce prédateur a été introduit pour ses meilleures performances en terme de consommation de pucerons et autres ravageurs. Cependant, il s’est en fait révélé terriblement invasif et fait courir un risque d’extinction à certaines espèces de coccinelles locales.


En gardant en tête les quelques potentiels risques qu’elle présente, la lutte biologique offre aujourd'hui un ensemble d'alternatives efficaces aux pesticides et produits chimiques pour lutter contre ce que nous nommons nuisibles. Cette méthode présente de nombreux avantages en termes de santé humaine et animale (via la limitation voire l’arrêt des pesticides), de protection de la biodiversité (protection des sols, des eaux et de la faune et flore associées), d’écologie (diminution des populations de ravageurs et préservation des auxiliaires), et d’économie (potentiellement moins coûteuse à long terme).


Petite larve de coccinelle deviendra grande avec tous ces pucerons à manger

 

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