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Pourquoi les tourbières nous sont-elles essentielles ?


Une tourbière est un écosystème humide et marécageux qui se forme dans des conditions de faible luminosité, d'humidité élevée et de manque d'oxygène. Les tourbières sont des milieux de conservation importants qui abritent de nombreuses espèces rares et menacées. Elles jouent également un rôle important dans la régulation du climat et de l'eau. Aujourd’hui les tourbières rencontrent des problématiques spécifiques de développement car elles sont menacées par une mauvaise gestion des forêts.




Qu’est-ce que c’est ?


Une tourbière se définit comme une zone humide. Elle se caractérise par l’accumulation de la tourbe, qui représente un sol riche en matière organique, peu ou pas décomposée, d’origine végétale. Les tourbières se retrouvent dans des milieux géographiques différents : arctique, subarctique, tempéré et tropical. Les climats tempéré et tropical sont les plus favorables à l’apparition des tourbières. C’est un bilan hydrique nul ou positif qui leur permettra d’exister.


On observe sur ce type de sol un relief spécifique avec une eau stagnante ou très peu mobile. Cela entraîne un manque d’oxygène des micro-organismes présents sur une tourbe et ralentit la minéralisation de la litière végétale. La pluviométrie importante et un sous-sol rocheux, argileux ou sableux sont des facteurs propices aux tourbières.


Cet écosystème singulier et fugace est un puits de carbone considérable grâce à une production de matière organique supérieure à celle de sa dégradation, et ce malgré les émissions de méthane. Selon les estimations, entre 15 et 30 % du carbone stocké dans les sols le seraient dans les tourbières. Une perte supplémentaire de 1 % du stock de carbone tourbeux équivaudrait à 30 à 60 % des émissions annuelles de carbone fossile.


Ces écosystèmes peuvent être très imposants. Ainsi une majorité des tourbières se sont formées lors de la dernière glaciation, soit il y a près de 12 000 ans (glaciation de Würm). Les dépôts de tourbe possèdent, le plus fréquemment, une épaisseur comprise entre 50 cm et 5 à 10 mètres. Cependant, il existe des exceptions comme la tourbière de la Grande Pile, au pied des Vosges, où l’épaisseur relevée atteint 70 mètres.


Les végétaux constituant les tourbières sont principalement des bryophytes ainsi que diverses plantes herbacées : ils sont appelés tourbogènes ou turfigènes. D’ailleurs, on considère qu’une tourbière est active tant que s’effectuent les processus d’élaboration et d’accumulation de la tourbe à partir de ces végétaux. Dans le cas contraire, la tourbière est qualifiée d’inactive.


Une tourbière "classique" (c'est-à-dire la plus répandue) connaît plusieurs phases de développement :

  • D’abord le comblement progressif d'une dépression naturelle remplie d'eau par des plantes en partant des bords,

  • Puis par la constitution d'un véritable tapis végétal s'épaississant petit à petit et ce jusqu'à gonflement du tapis,

  • Enfin le rejet de l'eau à la périphérie.


En fin de vie, la tourbière s'assèche progressivement, et devient inactive. Cela se traduit par son affaissement et souvent par son boisement.



Les intérêts des tourbières pour la faune et la flore


Les tourbières représentent plusieurs intérêts pour la biodiversité tant sur l’aspect écologique-biologique que sur l’aspect scientifique-archéologique.



Aspects écologique et biologique


Les tourbières sont des écosystèmes uniques, caractérisés par des conditions écologiques spécifiques, comme une humidité élevée constante, des températures froides, une acidité élevée et une pauvreté des eaux parfois extrême.


En raison de ces conditions, les tourbières abritent des biocénoses[1] spécialisées et uniques que l'on ne retrouve pas dans d'autres écosystèmes. De nombreuses espèces vivant dans les tourbières, tant animales que végétales, sont actuellement très rares et/ou menacées en France ou en Europe. Elles sont donc de véritables conservatoires biologiques. Parmi les espèces végétales menacées en France, 27 d’entre elles (soit 6 %) sont caractéristiques de ces milieux.


De même, de nombreuses espèces animales dépendent étroitement des tourbières, certaines étant strictement inféodées à ces milieux. Une partie des invertébrés, particulierement menacés en France, ne vivent que dans ces espaces. Les tourbières sont également le refuge de nombreux vertébrés, parmi lesquels des batraciens, des oiseaux (comme les busards, le courlis cendré et le grand tétras) et des mammifères (comme la loutre et le vison d'Europe). Elles jouent également un rôle important dans la migration des oiseaux en constituant des zones de passage ou d'hivernage privilégiées.

Même si les tourbières en France sont quelques peu marginales par rapport à l'aire de distribution de ces écosystèmes, leur diversité est exceptionnelle grâce à la situation biogéographique privilégiée de notre pays, où convergent des influences climatiques atlantiques, continentales, méditerranéennes et même boréales. Selon l'importance relative de ces influences climatiques, différents cortèges végétaux se développent, donnant lieu à une grande diversité de types de tourbières.



Aspects scientifique et archéologique


Les tourbières sont des écosystèmes uniques qui sont passionnants à étudier pour les scientifiques en raison de leur fonctionnement. Ce dernier est différent de tout autre écosystème en termes d'hydrologie et de la genèse de leur sol. Ce sont de véritables « laboratoires vivants » , propices à de nombreuses recherches.


Par exemple, les conditions écologiques souvent très difficiles dans les tourbières nécessitent une adaptation remarquable de la part des organismes qui y vivent :

  • Certaines espèces de plantes, comme les droseras, les utriculaires ou les grassettes sont devenues carnivores pour compenser la pauvreté du milieu en azote.

  • D'autres, comme l'andromède, la canneberge et la camarine, ont un port prostré et ont des petites feuilles coriaces pour réduire les pertes d'eau par évapotranspiration.

  • Les sphaignes, quant à elles, sont capables de stocker jusqu'à trente fois leur propre poids en eau grâce à de grandes cellules creuses (hyalocystes) tout en acidifiant et appauvrissant le milieu en éléments minéraux, rendant les conditions hostiles pour le développement des plantes concurrentes.


Les tourbières constituent donc des milieux ad hoc pour étudier l'adaptation des organismes aux contraintes environnementales extrêmes.


Grâce aux conditions d'anaérobiose[2] (absence d'oxygène) qui règnent dans leur sol, les tourbières sont également de très bons milieux de conservation. Au fur et à mesure que la tourbe se forme et s'accumule, de nombreuses particules organiques de nature très diverse peuvent être piégées dans le sol et fossilisées.


Les tourbières représentent une source de documentation importante en accumulant des informations, couche par couche, au cours des siècles ou des millénaires de leur existence. L'analyse de la tourbe permet de révéler ces informations qui nous renseignent sur leurs conditions de formation.


Par exemple, l'étude des pollens (palynologie) conservés dans la tourbe a permis de reconstituer le paysage végétal des tourbières depuis près de 12 000 ans. Lorsque les tourbières sont exploitées, la succession des dépôts est perturbée et ces informations sont perdues à jamais. La découverte et l'étude de « macrorestes » d'origine anthropique, tels que des sentiers, des barques, des filets de pêche ou même des corps humains, ont également permis de mieux comprendre l'organisation et les activités humaines dans ces milieux, il y a plusieurs millénaires.



Préoccupations actuelles et enjeux


La plupart des tourbières se trouvent dans les régions de moyenne et haute montagne , près des sources de grands fleuves et rivières, appelées "tête de bassin versant". Comme les autres types de zones humides, elles jouent un rôle important dans le cycle de l'eau. Elles purifient l'air et l'eau, stockent le carbone et régulent les conditions climatiques locales grâce à l'évapotranspiration[3] qui réduit les périodes de sécheresse et de canicule. En période de forte crue, elles limitent les inondations et en période de sécheresse, elles ré-alimentent les cours d’eau et nappes phréatiques. Elles retiennent l'eau pendant un certain temps avant de la libérer, ce qui permet de réguler les flux hydriques et d'atténuer les crues. Enfin elles permettent le maintient également d'un débit minimal d'eau dans les cours d'eau en été.


En outre, les végétaux des tourbières permettent de purifier l'eau en utilisant les excès de matières minérales et organiques pour leur croissance. Cela en fait des sources naturelles d'eau potable précieuses à protéger absolument. Cependant, un apport excessif de matières minérales peut perturber le fonctionnement de la tourbière en accélérant la dégradation de la matière organique morte et en entraînant la disparition des sphaignes. Si la matière organique stockée dans la tourbe est minéralisée, la végétation en surface est modifiée et la tourbière devient inactive.


L’étalement urbain et les activités humaines ont contribué à réduire significativement tourbières et zones humides, Toutefois, les pouvoirs publics prennent progressivement conscience de leur importance écologique et écosystémique.


Ainsi, dans la commune d'Argol, en Bretagne, une tourbière de 10 hectares est en train d'être restaurée grâce à un chantier qui a débuté il y a quelques mois. Cette tourbière est menacée par une population croissante de pins maritimes qui la recouvre peu à peu depuis les années 1960. Le chantier consiste à extraire les troncs de résineux, principalement ces pins maritimes, et a déjà permis de retirer près de 2 500 arbres et arbrisseaux. La technique utilisée permet de limiter les dommages causés à la végétation environnante. En enlevant les arbres qui pompent l'eau d'une tourbière, on protège le niveau de la nappe phréatique et on maximise le stockage de l'eau, qui peut être redistribuée lorsque le niveau des rivières commence à baisser, en particulier en période estivale.


Selon certaines études, une tourbière bien régulée peut stocker jusqu'à cinq fois plus de carbone qu'une forêt. Cet écosystème est donc particulièrement important pour faire face au changement climatique.


Yves-Marie Le Guen complétait dans l’article du Télégramme du 04 octobre 2022 que la suppression de résineux sans importance économique forestière - comme ceux situés à Argol - permet également de réduire le risque d'incendie. Ainsi lors des incendies de l'été dans les monts d'Arrée en Bretagne, les discussions avec les pompiers ont montré que les résineux sont un facteur d'accélération et de propagation des feux.


Les tourbières sont des écosystèmes originaux au fonctionnement unique. Elles sont de véritables laboratoires vivants, supports à de nombreuses typologies d'études et de recherches.


Les tourbières assurent une multitude de fonctions au sein de la biosphère, en participant notamment à la purification de l'air et de l'eau, au stockage du carbone ou à la régulation des conditions climatiques locales. Elles sont liées aux écosystèmes environnants par des chaînes trophiques, les mouvements migratoires des animaux et par l'hydrologie. Elles jouent un rôle important dans le cycle de l'eau, en la retenant et en la restituant progressivement au milieu, en maintenant un débit minimal notamment en été mais aussi en contribuant à son filtrage et à son assainissement. Elles sont également d'excellents milieux conservateurs grâce aux conditions d'anaérobiose qui règnent dans leur sol, permettant de piéger des particules organiques et de les fossiliser. De plus, elles stockent une grande quantité de carbone, participant activement à la lutte contre le changement climatique. Enfin, elles sont des lieux privilégiés pour l'étude de l'adaptation des organismes face à des contraintes environnementales extrêmes. Autant d'excellentes raisons de les protéger !



 

Ressources complémentaires



 

[1] Ensemble des êtres vivants qui peuplent un écosystème donné. Elle se compose de trois groupes écologiques fondamentaux d'organismes : les producteurs (végétaux), les consommateurs (animaux), et les décomposeurs (bactéries, champignons, etc.). (Actu Environnement)

[2] Condition nécessaire à la vie des micro-organismes dont le métabolisme peut s'effectuer en absence d'oxygène (anaérobiose facultative) ou est inhibé par la présence d'oxygène (anaérobiose stricte). (Larousse)

[3] L’évapotranspiration correspond à l’émission de vapeur d’eau dans l’atmosphère depuis le sol et la surface des végétaux. On distingue deux phénomènes naturels qui rejettent de l’eau dans l’atmosphère : l’évaporation de l’eau du sol et des milieux aquatiques qui est un fait purement physique ; la transpiration des plantes, un processus biologique et mécanique, par lequel les végétaux perdent de l’eau. (Actu Environnement)

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