L’artificialisation des sols : un fléau pour la biodiversité (2e partie)
- Etats Sauvages
- 15 juin
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Dernière mise à jour : il y a 2 jours
L’artificialisation des sols transforme chaque année des milliers d’hectares de terres naturelles, agricoles ou forestières en zones urbaines, industrielles ou de loisirs. En France, ce sont 20 000 à 30 000 hectares qui disparaissent ainsi, bien plus vite que la croissance démographique. Comprendre ses causes et ses impacts est essentiel pour agir et préserver. Mais cette transformation massive n’est pas sans effets : elle bouleverse les équilibres écologiques, agricoles et climatiques dont nous dépendons.

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Les conséquences sur l’environnement
Selon l’IPBES, organe intergouvernemental sous l’égide des Nations Unies publiant sur la biodiversité, « la modification de l’utilisation des terres et des mers », dont l’urbanisation est une des causes, est le facteur direct le plus important dans l’effondrement de la biodiversité.
En effet, les sols remplissent de nombreuses fonctions écologiques et services écosystémiques pour notre société notamment :
La création d’habitats pour la biodiversité des sols ;
La capacité à nourrir les espèces sauvages animales et végétales ;
La régulation de l’eau en la retenant ou non ;
Le stockage, le recyclage et la transformation des matières organiques ;
Le support des productions agricoles ;
Le rôle de matières premières pour les constructions ;
Le filtrage et la dégradation des polluants.
Malheureusement, le sol est menacé dans ses fonctions du fait d’une artificialisation trop importante en France (même s’il s’agit d’une évolution moins spectaculaire et plus diffuse que la progression de la déforestation en Amazonie en comparaison). L'effet sur les milieux naturels est progressif et résulte surtout de changements d'usages de petites tailles qui se cumulent au fil du temps. L'artificialisation des sols continue de progresser au rythme, désormais bien connu, d’un département tous les 10 ans (voire tous les 7 ans, selon les périodes).
Tout d’abord, les changements d'usages des sols constituent une pression majeure sur la biodiversité (l’ensemble des organismes vivants et leurs interrelations). La déforestation, le développement de l’agriculture, de l’élevage, mais aussi l’expansion des aires urbaines contribuent à la réduction et à la fragmentation des habitats naturels. En artificialisant et en imperméabilisant un sol, on détruit l’habitat naturel de nombreuses espèces ainsi que leur source de nourriture. Par exemple, en transformant une prairie en parking, on rend le sol inhabitable pour les petits organismes y vivant tels que les vers de terre. On réduit ainsi la nourriture disponible pour les oiseaux : c’est toute la chaine alimentaire qui est affectée. Le sol abrite près de 60 % de la biodiversité terrestre. Par exemple, un mètre carré de sol forestier peut contenir plus de 1 000 espèces d’invertébrés. Même si l’habitat n’est pas complètement détruit, il peut être réduit ou fragmenté. Par exemple, la construction de routes coupe les zones naturelles en deux, empêchant les animaux de se déplacer, de trouver de la nourriture, de se protéger ou de se reproduire. L’artificialisation entraine une homogénéisation de la biodiversité : les espèces qui réussissent à supporter les conditions de vie des milieux artificialisés prospèrent au détriment des autres. Cela réduit les possibilités d’adaptation future et, par conséquent, la résilience des milieux, leur capacité à se rétablir après une perturbation extérieure. Les pratiques agricoles et forestières intensives produisent les mêmes effets. L’artificialisation due au transport est particulièrement problématique puisqu’elle aboutit systématiquement à l’imperméabilisation des sols, qui induit des impacts sévères sur les écosystèmes, le cycle de l’eau ou le cycle du carbone.

De plus, l’artificialisation des sols implique la perte de terres agricoles. Selon les données des enquêtes Teruti-Lucas, l’artificialisation des sols entre 2006 et 2014 s’est faite pour les deux tiers sur des espaces agricoles. Dans un contexte de croissance démographique, avec 76 millions de Français projetés en 2070 par l’Insee, de transition agroécologique et de volonté d’autonomie stratégique renforcée, la préservation des surfaces agricoles est un enjeu crucial. L’artificialisation des sols affecte durablement, voire irréversiblement, les fonctions du sol, et soustrait des terres arables à la production agricole. Entre 1981 et 2012, on estime que 6,9% des terres agricoles ont ainsi disparu. Lorsqu’on urbanise en France, on détruit des terres fertiles qui pourraient être utilisées pour l’agriculture : l’urbanisation française se fait à 70 % au détriment des terres exploitables. Outre qu’elle limite la capacité de production agricole française, cette tendance est problématique car elle freine le passage progressif à une agriculture 100% bio, qui nécessite davantage de terres, à moins d‘ajuster notre consommation. La destruction des terres agricoles par les différents types d’artificialisation est aussi inquiétante pour l’avenir de l’élevage : ce secteur est fragilisé et les citoyens nourrissent de grandes attentes concernant le bien-être animal. D’autre part, l’artificialisation réduit la souveraineté alimentaire. En réduisant les terres agricoles, l’artificialisation affaiblit notre capacité future à nous nourrir et augmente la vulnérabilité de nos sociétés face aux ruptures de chaînes d’approvisionnement.
Les territoires agricoles, notamment ceux situés en pourtour de grandes villes, ou à proximité du littoral, sont davantage soumis aux pressions de l’artificialisation. Sur les vingt dernières années, l’artificialisation s’est effectuée sur des espaces agricoles à plus de 80%, alors que les sols agricoles ne représentent que 49 % des espaces naturels, agricoles et forestiers. Trois facteurs peuvent expliquer ce phénomène : les villes sont historiquement construites à proximité des terres présentant les meilleures valeurs agronomiques alors que les espaces naturels et forestiers sont davantage situés dans des zones peu accessibles (montagne notamment) ou soumises à des aléas (inondation, éboulement, etc.). De plus, les espaces naturels et forestiers sont davantage protégés (réserve biologique, réserve intégrale, arrêté de protection biotope, zones Natura 2000, etc.), ce qui limite leur constructibilité. Enfin, la faible rentabilité de l’agriculture et le faible coût du foncier agricole favorisent le changement d’affectation de ces terres. Cela est renforcé par le fait que le prix moyen d’un terrain agricole devenu constructible est multiplié par près de 659. Au total, 86% des terres artificialisées sont utilisées pour d’autres secteurs que l’agriculture. De fait, même l'agriculture, lorsqu'elle est intensive, est considérée comme une artificialisation des sols. Étant une pratique qui laboure régulièrement un sol en profondeur et qui utilise beaucoup de produits chimiques (engrais, pesticides, …), cela altère durablement les fonctions du sol.

L’artificialisation peut également induire la pollution des sols. La pollution peut être chimique, mais aussi lumineuse, ou sonore. Par exemple, 85 % du territoire métropolitain est exposé à un niveau élevé de pollution lumineuse, alors que la biodiversité est majoritairement nocturne. Concernant la pollution chimique, une étude menée par l’INRAE (L’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) en 2022 confirme également le rôle important des pesticides dans le déclin de la biodiversité dans les zones agricoles. Ainsi, les activités industrielles et minières, mais également certaines formes d’agriculture intensive, génèrent des pollutions qui viennent perturber davantage la qualité des sols. Ces pollutions peuvent demeurer plusieurs années dans les sols, selon le Comité pour l’économie verte. Par ailleurs, lorsqu’elle favorise le développement du trafic routier, l’urbanisation augmente indirectement la pollution des eaux pluviales urbaines par le ruissellement de gaz d’échappement, de fuites d’huile, d’usure des pneumatiques, et des matériaux de construction. Ces substances se retrouvent dans les milieux naturels, notamment aquatiques, avec des effets négatifs importants sur la qualité des eaux, sur les êtres vivants et la chaine alimentaire.
Enfin, la construction de nouvelles routes est également un facteur d’aggravation de la pollution de l’air. L’ADEME estime ainsi qu’une augmentation de la capacité du réseau routier de 10% provoque une augmentation de la pollution de l’air de 1%.
Additionnellement, l’étalement urbain induit plus de trajets (liés au travail, aux courses, aux loisirs…) qui sont le plus souvent réalisés en voiture, ce qui augmentent les émissions de gaz à effet de serre. Le transport routier est à lui seul responsable de 94% des émissions de CO2 du secteur des transports, premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France.
L’artificialisation participe également au réchauffement climatique en relâchant une importante quantité de CO2 dans l’air. L’artificialisation des prairies et des milieux forestiers s’accompagne d’un relargage d’une partie du carbone stocké dans les sols et obère les capacités futures de ces milieux à agir comme puits de carbone et à recycler la matière organique. Entre 2011 et 2021 en France, les espaces forestiers et les prairies ont capté 48 millions de tonnes d’équivalent carbone par an sur un total d’émissions de 473 millions de tonnes (Citepa (2023), Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et forêt, UTCATF Éditions). On compte entre 1,5 et 2,4 milliers de milliards de tonnes de carbone stockées dans les sols et les végétaux sur Terre. Cela fait 2 à 3 fois plus de carbone stocké dans les sols que dans l’atmosphère. Les sols naturels jouent, en effet, un rôle crucial dans la régulation du climat en stockant le carbone. Ils aident donc à limiter le réchauffement de la planète, cependant, un sol artificialisé par des bâtiments ou des routes n’a plus cette capacité.
De plus, artificialiser un sol nécessite souvent de remuer le sol, ce qui accélère la minéralisation de la matière organique, et donc l’émission de gaz à effet de serre. Selon un rapport de 2019 de l’EFESE (l’évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques), la poursuite des tendances actuelles en matière d’urbanisation jusqu’en 2050 pourrait conduire à un déstockage équivalent à 75% des émissions françaises totales de 2015. Ce qui compromettrait grandement certain des efforts climatiques de la France. L’artificialisation restreint également les capacités d’infiltration du sol et, par conséquent, perturbe le cycle naturel de l’eau. Cela a pour corollaire une réduction de la recharge des nappes, une réduction du stockage de l’eau dans les sols, une accentuation des phénomènes d’îlots de chaleur urbains et une saturation des réseaux d’eau urbains qui reçoivent l’eau pluviale que les sols artificialisés ne peuvent plus infiltrer. En détruisant le milieu de vie des micro-organismes des sols qui assurent la dégradation des pollutions − il y a entre 100 000 et 1 million d’espèces de bactéries dans un gramme de sol -, l’artificialisation réduit aussi drastiquement les capacités épuratoires des milieux. Les sols naturels, comme les prairies et les forêts, absorbent l’eau de pluie et régulent les écoulements, mais, quand on artificialise un terrain (imperméabilisation avec du bitume, tassement, décapage…), l’eau ne peut plus s’y infiltrer ni y être retenue. Le résultat est qu’en cas de fortes pluies, l’eau ruisselle. Elle peut alors augmenter rapidement le niveau des cours d’eau ou s’accumuler dans des endroits en cuvette. Cela peut provoquer des inondations avec des conséquences dramatiques pour les populations résidant dans des zones inondables. Sur des sols tassés, mais non imperméabilisés, l’artificialisation contribue aussi fortement à l’érosion de ces sols (une perte nette du sol). Cette érosion, sur des terrains en pente peut emporter avec elle de la boue et des pierres entraînant des dégâts importants sur les infrastructures (routes, ponts…) et les habitations. Cette artificialisation impacte donc aussi notre capacité à gérer les futures crises climatiques.

En ville, la réduction de la végétalisation, remplacée par du verre, du béton ou de l’acier, augmente la température ambiante et le phénomène des îlots de chaleur. Les surfaces minérales (pierre, béton…) absorbent et stockent davantage la chaleur que les surfaces végétales. En été, cela peut rendre la vie en ville très difficile. La chaleur stockée pendant la journée dans les murs des bâtiments et les sols bitumés est restituée la nuit. En conséquence il est impossible de bénéficier de la fraîcheur de l’air nocturne. La ville devient alors un îlot de chaleur. Pour contrer cet effet, la végétation permet de rafraichir l’air grâce à l’évapotranspiration des arbres. Les végétaux font également de l’ombre sur les surfaces minérales et empêchent ainsi ces surfaces de trop se réchauffer dans la journée. On peut observer une différence de plus de 10 °C entre la température nocturne en ville et à la campagne. On estime qu’un 1 arbre mature équivaut à 5 climatiseurs.
Les solutions pour limiter l’artificialisation des sols
Aujourd’hui, les pouvoirs publics ont décidé de réduire l’artificialisation des sols. L’aménagement des territoires est repensé pour laisser une place plus importante aux surfaces végétales (désimperméabilisation des sols en ville par exemple), aux espaces naturels et aux espaces agricoles. « En moyenne un département de la taille de la Drôme disparait sous le béton tous les dix ans » disait Barbara Pompili lors du Conseil de défense écologique du 27 juillet 2020. Cela s’est notamment traduit par l’intégration de cet objectif dans l’axe 1 du Plan Biodiversité de 2018, dont l’objectif 1.3 vise à « limiter la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers pour atteindre l’objectif de "Zéro artificialisation nette" » (Ministère de la Transition Écologique). La loi Climat et résilience du 22 août 2021 a également posé un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) à l'horizon de 2050. Elle a également établi un premier objectif intermédiaire de réduction par deux de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020. L'objectif de "ZAN des sols" tend donc à interdire toute artificialisation nette des sols sur une période donnée. Cela n’implique pas nécessairement l’arrêt total de l’artificialisation de nouveaux espaces. Celle-ci sera conditionnée à une renaturation à proportion égale ¬d’espaces artificialisés : tout ce qui sera "pris" sur la nature devra être "rendu". D’ici à 2050, pour chaque mètre carré de sol bétonné, il faudra réhabiliter ou renaturer un mètre carré de terrain dégradé.

Les démarches possibles pour limiter l’artificialisation des sols sont :
Éviter les travaux ou les aménagements des milieux et des sols
La meilleure solution demeure d’éviter d’aménager les milieux et les sols. Sur un territoire donné, certaines activités sont ainsi à privilégier par rapport à d’autres, parce qu’elles ne nécessitent pas d’aménager les milieux. Par exemple, l’utilisation des prairies humides pour le pâturage peut se faire sans drainer ces espaces, au contraire de leur mise en culture (maïs, céréales, etc.). C’est une manière de les exploiter tout en conservant leur fonctionnement naturel.
Renoncer aux projets superflus et rendre les documents d’urbanismes plus réalistes
Extensions aéroportuaires, projets autoroutiers superflus, centres commerciaux géants… les exemples d’infrastructures inutilement consommatrices d’espace se multiplient et il devient urgent d’y mettre fin. De plus, les documents d’urbanisme se basent trop souvent sur une estimation surévaluée des projections démographiques. Ils surdimensionnent leurs besoins en équipement, et donc en foncier. La volonté des territoires de projeter une image de dynamisme est compréhensible, mais aboutit à une “sur-artificialisation”.
Réutiliser des espaces déjà artificialisés
Au lieu de construire sur des terres agricoles, il est possible de réhabiliter des friches industrielles ou commerciales, des bâtiments vacants ou des quartiers déjà urbanisés. Cela permet de redonner vie à des espaces existants sans empiéter sur la nature. La solution repose sur une meilleure « efficacité de l’artificialisation », c’est-à-dire le nombre de m² nécessaires pour construire 1m² de bâti. On l’a vu, en France, cette efficacité est particulièrement faible. La priorité doit être donnée à la réhabilitation des 150 000 hectares de friches industrielles existants et à la mobilisation des plus de 3 millions de logements vacants pour éviter de consommer de nouveaux espaces. La transformation des bureaux vides en logements doit aussi être étudiée du fait du développement du travail à distance, accéléré par la COVID. Un record de plus 4 millions de m² de bureaux vacants a notamment été franchi en Ile-de-France en 2022 (Insee).
Privilégier les aménagements les moins impactants
Lorsque des aménagements ou des travaux ont été autorisés et sont réalisés, il convient de privilégier les pratiques les moins impactantes pour le milieu. Par exemple, lors de la construction d’un pont sur une rivière, il est possible de minimiser la fragmentation du milieu en veillant à ce que les animaux et les sédiments puissent passer sous le pont.
Par ailleurs, de nombreuses techniques peuvent être mises en œuvre dans les espaces artificialisés pour les rendre perméables à l’infiltration des eaux : revêtements permettant l’infiltration des eaux, toitures végétalisées, collecte des eaux de pluie vers des réservoirs d’infiltration, etc. Le Code de l’urbanisme abrite plusieurs dispositions relatives aux surfaces imperméables, visant notamment à limiter leur extension : par exemple, lors de la construction d’un nouveau centre commercial, une partie du parking doit être constituée de revêtements perméables.

Restaurer en dernier recours et renaturer les sols
Il est possible de créer davantage de parcs, de jardins ou de zones humides en ville pour favoriser la biodiversité, apporter de la fraîcheur en été et permettre à l’eau de s’infiltrer plus facilement dans le sol.
Cependant, il est difficile et coûteux de procéder à la restauration des terres recouvertes de bitume. La désimperméabilisation est pourtant une solution intéressante pour diminuer les risques d’inondation et de sécheresse dans certains bassins versants. Les projets de rénovation en zone urbaine ont souvent l’opportunité d’intégrer des actions de désimperméabilisation, même en centre-ville : la rénovation d’une route peut ainsi être l’occasion de désimperméabiliser des trottoirs, des parkings, des ronds-points ou des voies cyclables. Parfois, l’usage qui était à l’origine de l’aménagement d’un milieu n’est plus d’actualité. Dans ces situations, il est possible de restituer au milieu un fonctionnement plus naturel grâce à une restauration écologique. C’est le cas de certains barrages présents sur des rivières, qui peuvent être effacés (il s’agit d’un « arasement ») pour permettre au cours d’eau de retrouver une hydromorphologie plus libre.
C'est aussi le cas de la rectification de rivières qui modifie le tracé en plan du cours d'eau (raccourcissement d'une portion de cours d'eau sinueux ou méandriforme), permettant d'accroître sa capacité d'évacuation par augmentation de la vitesse du courant.
Sources complémentaires :
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